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Bernard Pivot: « Aujourd’hui, je fais rire par mes mots ! »

Du fauteuil d’émissions littéraires cultes au siège de la présidence de l’Académie Goncourt, en passant par les planches du théâtre, Bernard Pivot se confie sur son parcours, sur son amour des mots...

La retraite ? Il n’y pense absolument pas ! A presque 82 ans, le Lyonnais d’origine est actuellement en tournée avec son spectacle  » Au secours ! Les mots m’ont mangé « . Juste avant de monter sur scène, Bernard Pivot nous reçoit, en toute décontraction, dans sa loge au théâtre du Wolubilis, à Bruxelles.

Quelle est votre relation aux mots ?

Elle est très précoce... Pendant la guerre, je vivais dans un village du Beaujolais où je n’avais à ma disposition que deux livres : une vieille édition du Petit Larousse et un recueil des Fables de La Fontaine. J’adorais me balader dans les mots du dictionnaire, les noter, et j’y trouvais le sens des mots que je ne comprenais pas dans les Fables. Je jouais avec les mots comme je jouais avec des soldats de plomb, je n’avais pas conscience d’être en train de me cultiver ! J’ai appris à aimer les mots avant d’aimer les romans. Je devais avoir 12 ans quand j’ai commencé à en lire.

Vos parents vous ont-ils insufflé le goût de la lecture ?

Pas du tout ! Ils étaient épiciers, se levaient à 4 h, avaient trois enfants... Mes parents n’avaient vraiment pas le temps de lire.

Quel genre d’élève étiez-vous ?

Médiocre. J’étais un peu en dessous de la moyenne. Et puis, quand j’ai réussi le concours d’entrée au Centre de formation des journalistes, bizarrement, je suis devenu un étudiant brillant. Probablement parce que c’était à Paris, que je n’étais plus dans le cocon familial, plus avec mes copains, que je ne jouais plus au football... D’un seul coup, j’étais solitaire et j’ai pris goût au travail.

Vous avez rencontré des milliers d’auteurs. Quelle fut votre plus belle rencontre ?

Celle qui m’a le plus marqué, c’est Alexandre Soljenitsyne car j’ai eu la chance de le suivre pendant vingt ans, depuis son exil d’URSS jusqu’à son retour en Russie. J’ai eu le privilège incroyable de faire quatre émissions avec lui ! J’avais en face de moi, un grand écrivain mais aussi un homme de l’histoire, un de ceux qui ont contribué à la chute du communisme. C’était très impressionnant...

Vous présidez l’Académie Goncourt depuis 2014. Une consécration ?

Etre président n’est pas une chose qui m’a beaucoup tenté. Une des plus jolies dates de ma vie c’est lorsque j’ai été élu, en 2004, à l’académie Goncourt parce qu’elle ne fait appel qu’à des écrivains et j’étais le premier journaliste à y entrer. J’étais très fier !

J’étais un forçat de la lecture du temps d’Apostrophes !

Bernard Pivot

Que pensez-vous de l’évolution du français ?

L’utilisation de la langue française n’est heureusement pas figée. Cependant, elle est envahie par trop de mots anglo-américains. Si on emprunte un tel mot pour désigner une chose, un objet ou une manière de vivre qui n’existait pas, pourquoi pas. Ce que je trouve scandaleux, c’est lorsque des mots anglo-américains prennent la place de vrais bons mots français. Prenez  » best of  » qui remplace florilège, morceaux choisis, le meilleur de ou encore  » access prime-time  » pour dire l’avant-soirée.

Justement, vos émissions passaient à une heure de grande écoute. La littérature estelle encore bien défendue à la télévision ?

On peut dire que jamais la télévision n’a présenté autant d’ouvrages mais ce sont des livres de cuisine, de jardinage, de politique, des mémoires de footballeur... La place des livres de littérature est beaucoup plus parcimonieuse ! Il y a encore la Grande Librairie sur France 5, une émission littéraire de Jean-Pierre Elkabbach sur la chaîne parlementaire et d’autres émissions un peu plus brèves... Le temps d’Apostrophes où on pouvait diffuser une émission littéraire sur une grande chaîne (France 2) à une heure de grande audience (21h30) est révolu. C’est l’évolution de la télévision...

Et vous, que regardez-vous à la télé?

En plus des émissions culturelles, je regarde beaucoup le journal télévisé de 20 h et beaucoup de matchs de football, une de mes passions. En revanche, je n’ai pas le temps de regarder de la fiction.

Vous avez été longtemps un homme de télévision. Que vous procure la scène ?

Il ne me serait jamais venu à l’esprit de monter sur scène ! C’est Jean-Michel Ribes, directeur du théâtre du Rond-Point, à Paris, qui me l’a proposé car il trouvait que je lisais très bien les textes des autres quand j’animais Apostrophes et Bouillon de culture et que je devais donc certainement bien lire les miens. Je me suis lancé, le public y a pris du plaisir et moi aussi ! Au théâtre, les spectateurs sont évidemment beaucoup moins nombreux qu’à la télévision mais je les vois, je les entends rire, respirer, applaudir... Déclenchez la bonne humeur des gens par mes mots, c’est un plaisir incroyable.

Lisez-vous encore énormément ?

Oui, fatalement à cause du Prix Goncourt et de ma chronique littéraire pour le Journal du Dimanche mais aussi juste pour le plaisir de lire les autres. Je consacre encore 3 à 4 h par jour à la lecture, ce qui est toutefois moins que du temps d’Apostrophes où j’étais un forçat de la lecture ! Je lis surtout des romans et je me suis ruiné en journaux.

Combien de livres compte votre bibliothèque ?

J’ai un bureau tapissé de livres, c’est normal, mais j’en donne énormément car je ne garde que les ouvrages que j’aime ou ceux qui peuvent me servir, comme les dictionnaires. Je suis ni bibliophile ni collectionneur de livres.

Avez-vous transmis votre passion à vos enfants ?

Oui, mes deux filles lisent beaucoup et l’une d’elle est journaliste. A leur tour, elles donnent le goût de la lecture à mes trois petits-enfants. Ça se transmet de génération en génération !

Vous êtes un fan de papier aussi actif sur Twitter...

J’aime beaucoup oui, c’est un vrai exercice mental et de style de savoir résumer une pensée, un sentiment, un souvenir, une observation... en 140 signes. Twitter est une école de la concision. Certains tweets me viennent tout de suite à l’esprit, d’autres, je dois les raccourcir, les reformuler, c’est marrant !

A quand la retraite ?

Dans nos métiers, il n’y a pas de retraite. Tant que l’esprit marche, on continue d’écrire, de lire, de s’informer, etc. Et si votre santé se détériore, c’est votre corps qui vous met à la retraite.

Pour vous, vieillir  » c’est chiant « ...

Oui, parce que les mots ne viennent plus à la même vitesse, on est moins habile de ses doigts, il faut surveiller son alimentation... On pourrait dire que vieillir c’est désolant, mortel, terrible, etc. mais chiant est un adjectif vigoureux et qui ne fait pas triste. Je veux dire par là que vieillir c’est embêtant mais qu’il faut y montrer de la vigueur, ne pas se laisser aller et, en même temps, prendre ça avec humour. Parfois, je peux m’en plaindre mais souvent, j’en ri.

Pour finir, question incontournable : votre mot préféré ?

Aujourd’hui ! C’est le mot des journalistes puisque nous écrivons nos articles à partir de l’actualité du jour. Aujourd’hui, je rencontre des gens, je pose des questions, j’entends des réponses ; aujourd’hui, je mange, je bois, je lis, je dors, je fais l’amour si je le peux encore, et ainsi de suite. Bref, aujourd’hui, je vis ! En plus, aujourd’hui est un mot magnifique avec, au milieu, une... apostrophe.

BIO EXPRESS

1935 : Naissance à Lyon

1957 : Diplômé du Centre de Formation des Journalistes à Paris

1961 : Naissance de sa fille Agnès

1966 : Naissance de sa fille Cécile

1975-1990 : Anime l’émission Apostrophes

Depuis 1990 : Chroniqueur au Journal du Dimanche

1991-2001 : Anime l’émission Bouillon de culture

2004 : Entrée à l’Académie Goncourt

Depuis 2014 : Préside l’Académie Goncourt

2016 : Publie « Au secours ! Les mots m’ont mangé » (Allary Editions)

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