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Les quatre vies de Mariemont

Tour à tour relais de chasse, demeure princière puis château bourgeois, le Domaine royal de Mariemont abrite aujourd’hui l’un des plus importants musées archéologiques de Belgique, dans un Eden horticole mêlant ruines et oeuvres d’art.

Figée dans le béton, la statue colossale semble veiller sur une galerie de dieux antiques. Nul ne sait plus précisément de qui il s’agit : une reine égyptienne, oui, mais laquelle ? Cléopâtre ? Possible : la sculpture, qui date du Ier siècle avant Jésus-Christ, a été trouvée en lisière d’Alexandrie, dans le delta du Nil. Deux indices probants, mais aucune certitude. Le visage de pierre garde pour lui la réponse de l’énigme, laissant poindre un petit sourire narquois.

Se pose alors une seconde question : comment une telle pièce, et toutes les merveilles qui l’entourent, se sont-elles retrouvées ici, à Morlanwelz, en plein coeur du bassin minier hennuyer ? On a souvent en tête l’image d’une région économiquement altérée, couverte de bâtiments décrépits et – à tort – peu intéressante sur le plan culturel et patrimonial...

Pour comprendre le destin extraordinaire du domaine de Mariemont, il faut remonter au XVIe siècle. La région est alors couverte de forêts et constitue un terrain giboyeux très apprécié des puissants.  » La soeur de Charles Quint y fait donc établir un relais de chasse, explique Laurence, guide au domaine. Comme elle se nomme Marie de Hongrie et que le pavillon est établi sur une butte, on lui donne le nom de Mariemont.  » La bâtisse, chargée d’abriter les équipages, n’est alors qu’une solide tour mal dégrossie, qui tient plus du donjon médiéval que du château de la Loire...

Raoul Warocqué (1870-1917).
Raoul Warocqué (1870-1917).© MRM

Des Archiducs aux Rois du charbon

Il faut attendre l’avènement des archiducs Albert et Isabelle (1598) pour que les lieux prennent des allures princières, entourés de jardins luxuriants et de plan d’eaux. Des peintres prestigieux de l’époque, dont Jan Breughel, se plaisent à figer sur leurs oeuvres un domaine célèbre dans toute l’Europe. A tel point que, quelques décennies plus tard, Louis XIV décide de se l’approprier par la force, afin de l’intégrer dans ses maisons royales ! Mais Mariemont repasse vite dans le giron des Habsbourgs. Entièrement reconstruit par Charles de Lorraine, avant-dernier gouverneur des Pays-Bas autrichiens, le palais abrite alors des fêtes grandioses. Tout ce faste disparaît brusquement en 1794, lors des guerres révolutionnaires et leur cortège d’incendies et de pillages.

Mariemont n’abrite plus que bois, ruines et jardins en friche lorsqu’il commence à être exploité, en 1802, par des industriels wallons, les Warocqué.  » Ce qui les intéresse, c’est avant tout le charbon qui affleure dans la région, explique ma guide. Il n’est même pas nécessaire de creuser profondément pour en trouver et le paysage se couvre de puits d’extraction. «  Nicolas, le patriarche, fait rapidement fortune. Il privatise les abords de l’ancien palais et se fait construire un château néo-classique engoncé dans un splendide jardin à l’anglaise. La famille, devenue l’une des plus riches de Belgique, prend des allures de dynastie : ses membres sont élus bourgmestres de Morlanwelz de père en fils pendant plus d’un siècle, et se montrent paternalistes avec leurs ouvriers... qui sont aussi leurs électeurs.  » Aujourd’hui encore, dans la région, on ne compte plus les bâtiments publics qui portent le nom d’un Warocqué : leur empreinte est très perceptible... Sans vouloir faire d’angélisme, on peut souligner qu’ils ont mis en place beaucoup de choses pour le bien-être et la sécurité de leurs employés, ce qui n’était pas le cas dans la plupart des charbonnages. « 

Le mausolée des Warocqué veille encore aujourd'hui sur le parc.
Le mausolée des Warocqué veille encore aujourd’hui sur le parc.© MRM-ML

Collection de collections

Redoutables hommes d’affaire, les Warocqué se montrent également grands esthètes. Au fil des générations, le parc d’arbres centenaires s’enrichit d’essences rares et de massifs fleuris, les pièces du château s’emplissent d’oeuvres d’art. Une tendance qui culmine avec le dernier héritier de la lignée, Raoul Warocqué (1870-1917). Franc-maçon, libéral et bon vivant, l’homme est un touche-à-tout doté d’une insatiable curiosité et d’un goût artistique certain. Sa fortune colossale lui permet de dépenser sans compter pour assouvir ses nombreuses passions.

On voit apparaître, à proximité des ruines et des plantes exotiques, des sculptures de Rodin ou de Jef Lambeau (l’auteur du pavillon des Passions humaines, au Cinquantenaire).  » Le jardin à l’anglaise, avec ses chemins sinueux et ses petits massifs isolés, permet de dissimuler tous ces éléments au regard jusqu’au dernier moment. Tout est calculé pour donner un caractère pittoresquedigne d’un tableauaux vues qui s’ouvrent aux promeneurs. «  Certaines statues s’avèrent très osées pour l’époque, comme le Triomphe de la Femme, qui montre crûment l’anatomie féminine.

La Fontaine aux lions, copie d'une fontaine mauresque espagnole du XIVe siècle.
La Fontaine aux lions, copie d’une fontaine mauresque espagnole du XIVe siècle.© MRM-ML

Raoul Warocqué marque aussi un intérêt prononcé pour la statuaire et les objets de l’antiquité. Il est conseillé dans ses achats par l’archéologue Franz Cumont, alors conservateur du futur Musée du Cinquantenaire.  » C’est ce qui explique la richesse de sa collection et la valeur des pièces sélectionnées...  » Bibliophile averti, l’industriel développe enfin la bibliothèque familiale, déjà bien fournie, en se faisant aider là aussi par des experts. Il acquiert des lettres d’illustres têtes couronnées, des partitions de Beethoven ou de Chopin, ou encore le manuscrit de la légende d’Uylenspiegel de Charles De Coster.

Le sens de la démesure

Longtemps, le collectionneur doit modérer un tant soit peu ses passions : sa mère, bigote conservatrice pour laquelle il éprouve une relation d’amour-haine, voit d’un mauvais oeil le comportement de son fils.  » Celle-ci ne veut pas de statues antiques dans le château et il doit se faire construire un  » bain romain  » dans le parc pour les conserver, détaille la guide. Ce n’est qu’à la mort de sa mère que Raoul peut faire ce qu’il veut de Mariemont : il fait rapidement rajouter deux ailes au bâtiment principal pour abriter ses collections. « 

La collection d'antiquités est l'une des plus belles de Belgique.
La collection d’antiquités est l’une des plus belles de Belgique.© MRM-ML

Le dernier membre de la dynastie Warocqué laisse alors libre cours à sa boulimie culturelle. Aux antiquités et à l’art moderne, il ajoute la passion des porcelaines et de l’Extrême-Orient. Le parc voit ainsi débarquer un bouddha géant, commandé lors d’un voyage au Japon. Le domaine de Mariemont devient un écrin d’arts et de plantations issus du monde entier, un  » monde particulier touchant la na ture et la culture, évoquant l’Orient et l’Occident, s’adressant à l’intelligence, mais aussi à tous les sens « . Sans être marié, ni avoir d’enfants, Raoul Warocqué s’éteint en 1917, en pleine guerre. Il lègue son domaine à l’Etat belge – une fois que celui-ci aura récupéré sa souveraineté – à deux conditions : que ni les collections, ni le domaine, ne soient dispersés et qu’un mausolée familial soit installé dans le parc. Chose rare, une dérogation est accordée pour la sépulture, permettant au domaine de Mariemont de devenir l’un des plus étonnants et éclectiques musées de Belgique. Raoul Warocqué, lui, repose à deux pas d’une statue de Constantin Meunier à laquelle il s’identifiait : celle d’un semeur. Semeur de savoir, semeur de beauté.

Pratique

Domaine et Musée royal de Mariemont, chaussée de Mariemont, 100, 7140 Morlanwelz. Musée ouvert tous les jours sauf les lundis, de 10 à 17 h (18 h entre avril et septembre).

Le parc, arboretum classé Natura 2000, est ouvert tous les jours de 10 à 17 h (de 9 à 18 h à la belle-saison). Le parc comporte plusieurs entrées : si vous désirez surtout visiter le musée, choisissez celle se trouvant au bout de la  » drève de Mariemont « . Plus d’infos : www.musee-mariemont.be ou 064 21 21 93

Un musée moderniste

Le Musée de Mariemont ouvre ses portes au public en 1922, dans l’ancien château des Warocqué. Mais, en 1960, catastrophe : le bâtiment s’embrase. Si la majorité des collections sont sauvées, l’édifice est presque complètement détruit. Plutôt que de le reconstruire à l’identique, il est décidé d’opter pour une architecture résolument contemporaine. La réalisation de l’ouvrage est confiée à l’un des plus célèbres architectes belges de l’époque, Roger Bastin. Le style est moderniste, épuré, et laisse une grande place au béton. On aime ou on n’aime pas, il n’empêche : Mariemont devient alors l’un des musées les plus modernes d’Europe, entièrement pensé et adapté pour sa fonction. Il est aujourd’hui classé.

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