© CASEY KELBAUGH

Picasso, le nom de la responsabilité

A 57 ans, Bernard Ruiz-Picasso, l’aîné des petits-fils du célèbre artiste Pablo Picasso (1881-1973), est investi d’une mission : surveiller et gérer l’immense héritage du maître espagnol.

Bernard Ruiz-Picasso est le fils de Paulo, l’enfant unique que Pablo Picasso a eu avec sa première épouse Olga Kohklova. Il habite Bruxelles avec sa deuxième femme – la galeriste Almine Rech – et leurs jumeaux. Nonobstant un patronyme célèbre, il se fait plutôt discret et prend ses distances quand il s’agit de se confier.

Comment êtes-vous arrivé à Bruxelles ?

Je vis ici depuis un peu plus de dix ans. Je ne souhaite pas m’étendre sur les circonstances de mon arrivée à Bruxelles. C’est trop privé. C’était juste une nouvelle aventure dans ma vie. Mais j’aime vivre ici et je suis heureux qu’une exposition soit actuellement consacrée à mon grand-père à Bruxelles. Pour les besoins de cette expo, j’ai prêté un certain nombre d’oeuvres issues de notre fondation. Il est exceptionnel de voir autant de sculptures que de peintures. Tout comme des pièces de la collection d’art primitif de mon grand-père.

En quoi consiste exactement votre rôle ?

J’ai hérité d’une partie de l’oeuvre de Pablo Picasso. J’ai fondé, avec ma femme, la Fundacion Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte à Ixelles, qui abrite la collection. Elle est strictement culturelle. Nous prêtons des oeuvres et soutenons des projets artistiques ainsi que des expositions. Je dirige aussi une fondation à Paris avec quatre autres héritiers de Picasso (Marina, Maya, Claude et Paloma, ndlr). Celle-ci s’attache aux aspects juridiques comme le copyright. Nous combattons évidemment le plagiat. Avec ma mère, j’ai aussi fondé le musée Picasso à Malaga, la ville natale de mon grandpère.

Votre grand-père a légué 45.000 oeuvres sans le moindre testament. A votre avis, pourquoi a-t-il agi de la sorte?

Il n’a effectivement laissé aucun testament. Son héritage était tel qu’il savait que chacun en recevrait une part. Il a toujours travaillé durement, n’a laissé aucun message quant à la rédaction d’un testament. Il a peu vendu, a gardé pour lui beaucoup de ses créations. Je pense que ce n’était pas un hasard. Picasso savait qu’il devait en conserver beaucoup pour sa famille.

Cela a engendré beaucoup de conflits au sein de la famille. Les Picasso forment-ils aujourd’hui un clan?

Il est vrai qu’aujourd’hui nous avons développé un esprit de famille assez fort. Chaque famille a ses problèmes. Mais nous sommes tous conscients que la vie agréable que nous menons, c’est grâce au travail de notre grand-père.

Vous étudiez aussi son oeuvre ? Découvrez-vous encore des nouveautés ?

Etudier son oeuvre est pour moi l’une des choses les plus fascinantes. Mais je ne suis évidemment pas le seul. De nombreux historiens se penchent sur ses travaux et j’aime en parler avec eux. Picasso est vraiment passionnant parce que son travail couvre presque tout le XXe siècle. Il était également au centre de la vie et s’impliquait vraiment dans les événements de son époque. Il suivait les développements politiques et sociaux et était particulièrement engagé. Etudier Picasso est un projet de recherche infini. Et nous découvrons régulièrement de nouvelles interprétations de son oeuvre. Ou nous voyons de nouveaux liens.

Vous découvrez surtout l’homme, le grand-père ou le grand artiste ?

Quand je l’étudie, je découvre les deux : Picasso, l’artiste et le travailleur acharné, et Picasso, mon grand-père. On ne peut jamais confondre un homme et son oeuvre artistique. Mais dans son cas, je pense que l’homme était assez cohérent avec son travail.

Et à vos yeux, qui était l’homme ?

Ah ! On a déjà tellement dit et écrit de choses à propos de mon grand-père. Il est l’un des rares artistes à avoir connu la célébrité de son vivant. Il était presque aussi célèbre qu’après sa mort. C’était une star. Et oui, il a vécu avec plusieurs femmes, ce qui lui a valu une certaine image. Mais c’était surtout quelqu’un qui a travaillé dur toute sa vie. Son énergie extraordinaire était bien connue. Et son travail reflétait aussi un incroyable positivisme. On revient rarement déprimé d’une exposition de Picasso. Ceux qui l’ont connu savaient qu’il adoptait un style de vie résolument optimiste et qu’il était fidèle en amitié.

Avez-vous encore des souvenirs de lui ?

Picasso est décédé en 1973 lorsque j’avais 14 ans. Je garde une image de lui vivant. Avant, c’était un grand-père chaleureux, impliqué et doux. Un homme au tempérament latin et qui plaçait donc sa famille au-dessus de tout. Ce que je regrette vraiment, c’est que je n’ai jamais pu discuter d’art avec lui. J’étais trop jeune pour cela. Enfant, je ne me rendais pas compte de sa célébrité.

J’aurais aimé discuter d’art avec mon grand-père. Dommage que je n’ai jamais pu le faire.

Il a fait quelque chose spécialement pour vous...

C’est vrai qu’il a fait quelques choses spécialement pour moi, oui. En 1961, il a notamment fabriqué un cheval jouet à partir d’un meuble de télévision sur roulettes. On peut voir une photo de moi sur ce cheval à l’exposition de Bruxelles. Mais ce n’est évidemment pas son oeuvre la plus importante. J’étais surtout intrigué par sa période cubique et ses dernières années – les dernières années d’un grand maître sont toujours intéressantes.

Votre fondation à Ixelles soutient également de jeunes artistes. Comment reconnaissez-vous le potentiel d’un artiste?

C’est difficile à dire. Ceux qui dépassent la moyenne sont très rares. Mais nous avons besoin de cette moyenne. C’est comme en sport. Pour atteindre le plus haut niveau, vous avez besoin des autres. Je pense qu’on peut reconnaître les grands artistes au fait qu’ils laissent un testament artistique à suivre pour les autres. Picasso fascine encore aujourd’hui parce que son oeuvre est si grande et si variée, il dégage une grande qualité plastique et de l’émotion.

Y a-t-il un artiste contemporain qui est à la hauteur selon vous ?

On peut difficilement comparer. Nous sommes au XXIe siècle et lui était un artiste du XXe siècle. L’art a évolué et ne fonctionne plus de la même manière. L’une des grandes différences est que l’art est aujourd’hui accepté de manière générale. Avant, il n’était apprécié que par une élite.

Vous êtes-vous déjà adonné à la peinture ?

Je n’ai jamais essayé de peindre ni quelque autre forme d’art. Ce serait tout à fait déplacé parce que je n’ai aucun talent.

Porter le nom de Picasso, est-ce un fardeau ou un plaisir ?

Une responsabilité. C’est important de porter un nom avec dignité. Mes enfants, qui ont 15 ans, trouvent ce nom un peu ennuvant.

Leur faites-vous prendre conscience de cette responsabilité ?

Je donne à mes enfants le plus de liberté que possible. Je ne les force pas à suivre une direction artistique. Je suis content que les enfants puissent dialoguer ouvertement aujourd’hui. Dans les années 60, lorsque j’étais enfant, nous devions nous taire quand les adultes parlaient.

Vous préférez rester très discret sur votre personne...

Je suis en effet réservé quand il s’agit de couverture médiatique. J’aime la discrétion. Je sais que certains membres de ma famille aiment être sous le feu des projecteurs. Mais je ne suis ni un acteur, ni un peintre, ni un sculpteur. Je suis seulement l’héritier d’une grande personnalité et ma tâche consiste à faire respecter cet héritage et à le partager avec le grand public.

BIO EXPRESS

Né à Bayonne (France) le 14 juin 1959. Son père était l’enfant unique de Picasso, né de son mariage légitime.

1974 : Un procès oppose les héritiers légitimes et illégitimes à propos de l’héritage de Picasso.

1975 : Au décès de leur père, il hérite, avec sa soeur, de la moitié de l’héritage de Picasso.

1977 : Il reçoit des milliers d’oeuvres d’art ainsi que le Château de Boisgeloup près de Paris. Il abritait l’atelier de céramique de Picasso. Il se révèle comme étant un spécialiste de Picasso.

2000 : Il décide de gérer activement et d’accorder des prêts des oeuvres de Picasso.

2002 : Il fonde avec sa femme, Almine Reich, la Fundacion Almine y Bernard Ruiz-Picasso para el Arte.

2003 : Il fonde avec sa mère le musée Picasso à Malaga dont il devient le viceprésident.

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