L'exercice physique régulier a un effet favorable sur la démence. © WWW.ONTOUMENS.BE

La démence : de nouvelles approches pour plus de bien-être

Puis-je encore me déplacer à vélo seul ? Dois-je entrer en maison de repos et de soins ? 1001 questions se bousculent quand tombe le diagnostic de démence. En pratique, rien de tel qu’une approche individualisée, du bon sens et de l’ouverture d’esprit.

L'exercice physique régulier a un effet favorable sur la démence.
L’exercice physique régulier a un effet favorable sur la démence.© www.onthoumens.be

S’il est un sujet qu’on a encore et toujours du mal à aborder, c’est bien celui de la démence. Même si le tabou qui a longtemps entouré cette maladie fléchit quelque peu. Le fait que des personnalités belges osent en parler ouvertement n’y est sans doute pas pour rien. Récemment, l’ex-ministre et bourgmestre de Courtai, Vincent Van Quickenborne, a exprimé sa détresse après la disparition de son père lors d’une balade à vélo. La chanteuse Kathleen Aerts (ex du groupe K3) a, elle, évoqué très naturellement la démence de sa mère.

La démence peut prendre de nombreuses formes, parfois loin du tableau très noir souvent dépeint dans les médias, qui correspond parfois à la phase terminale de la maladie.

 » C’est une évolution très positive, se réjouit Jurn Verschraegen, spécialiste de la démence. Il faut dire qu’on vient de loin. Il y a moins de vingt ans, les premiers cafés Alzheimer s’attiraient des critiques féroces sous prétexte qu’on y exhibait les malades atteints de démence. Aujourd’hui, on se rend compte que parler est non seulement libératoire mais permet aussi de mettre au point de nouvelles approches médicales. « 

La démence peut prendre de nombreuses formes, parfois loin du tableau très noir souvent dépeint dans les médias, qui correspond parfois à la phase terminale de la maladie. Il ne s’agit pas de nier cet aspect, car il existe, mais cette vision pessimiste risque de désespérer les personnes confrontées au diagnostic. Or la réalité est plus nuancée. Nombre de patients atteints de démence n’en sont qu’aux débuts de la maladie et la majorité d’entre eux (60 à 70 %) vivent chez eux. S’il n’existe pas (encore) de médicament capable de guérir ou de stopper la progression de la maladie, on réalise cependant d’énormes progrès au niveau de l’accompagnement des patients.

Peut-on prévoir l’évolution de la maladie ?

Pas plus qu’on ne dispose d’un médicament, il n’existe de scénario bien défini de l’évolution de la démence.  » L’important est de réussir à ouvrir  » la porte  » qui permet d’accéder à la personne atteinte, conjoint ou parent, précise Jurn Verschraegen. Un photographe a pris des clichés de personnes atteintes de démence dans différents pays et a comparé sa mission à un voyage d’exploration, comme s’il était le premier homme à mettre le pied en terre inconnue. Cette démarche demande du courage, de la créativité et de l’audace, celle de tenter des approches nouvelles et inédites. Si ça ne marche pas, il faut s’y prendre autrement, en tâtonnant. Dès qu’il se produit un déclic, cela peut faire des merveilles. Même si tout le monde ne se sentira pas forcément capable de tenter la même aventure. « 

La majorité des personnes atteintes de démence vivent chez elles.
La majorité des personnes atteintes de démence vivent chez elles.© ISOPIX

Laisser le patient vivre le plus longtemps possible chez lui, est-ce la meilleure solution ?

On entend souvent dire que ce choix aiderait à retarder l’apparition des symptômes et stimulerait l’autonomie de la personne atteinte : on aimerait y croire mais ce n’est pas totalement vrai.  » Cela ne fonctionne que si la personne se sent en sécurité chez elle, souligne Jurn Verschraegen. Or certains malades passent leur temps à chercher leur père ou leur mère, alors que ces derniers sont décédés depuis vingt ans ou plus. Le malade ne les trouve pas et panique. Dans ce cas, laisser le malade vivre chez lui n’est pas une bonne idée. « 

Une activité physique régulière contribue à retarder l’évolution de la démence, qui est une maladie dégénérative.

L’activité physique estelle bénéfique pour une personne atteinte de démence ?

La tendance actuelle consiste à encourager les malades à bouger. Des études scientifiques ont récemment démontré qu’une activité physique régulière contribue à retarder l’évolution de la démence, qui est une maladie dégénérative.  » Certaines villes et communes organisent des cours de natation spécialement conçus. On trouve des centres d’accueil et de soins où des danseurs professionnels prennent en charge les personnes atteintes. Le vélo, la marche, la course à pied, etc. tout cela est excellent. A pratiquer en pleine nature de préférence, en tout cas à l’extérieur le plus souvent possible, recommande Jurn Verschraegen. Si la personne est capable de partir seule à vélo, tant mieux : il faut entretenir cela avec, au besoin, l’aide d’une application ou d’un traceur GPS. Glympse est une application très utile : elle informe l’entourage, en temps réel, de l’endroit où se trouve la personne via son smartphone. On peut aussi la suivre à la trace, gratuitement, sur Google Maps. « 

Les gens souffrant de démence reviennent souvent à la vie en pratiquant une activité créative.
Les gens souffrant de démence reviennent souvent à la vie en pratiquant une activité créative.© www.onthoumens.be

Les jeux et exercices cérébraux aident-ils à retarder l’évolution ?

Les casse-tête, les mots croisés et les sudokus sont réputés entretenir la bonne santé de nos petites cellules grises. Alors faut-il se mettre aux jeux cérébraux ?

 » Pas forcément. Si vous aimez cela, ne vous en privez pas mais n’espérez pas en tirer des bienfaits préventifs ou thérapeutiques. On entretient mieux son cerveau en multipliant les contacts sociaux et en se lançant dans de nouvelles activités. « 

Songez aux projets de vie et autres activités sur-mesure, comme les Buddyprojecten, à Bruxelles et en Flandre. Des bénévoles se mettent en contact avec des patients atteints de démence et organisent régulièrement des sorties adaptées.  » Tout cela se déroule de manière informelle, les duos se forment, parfois de manière inattendue, selon les affinités, constate Jurn Verschaegen. Chaque tandem décide de ce qu’il a envie de faire et à quelle fréquence. Par exemple : tel étudiant fait chaque semaine du vélo avec un homme âgé atteint de démence, d’autres volontaires organisent des sorties au musée, des parties de cartes ou des balades en ville. « 

Aux Pays-Bas, l’initiative Dementalent qui consiste à offrir du travail bénévole à des personnes atteintes de démence remporte un franc succès. Ainsi un homme donne des cours à des étudiants en infirmerie, un autre travaille au coeur d’une zone naturelle, une femme vient aider chaque semaine la gérante d’une boutique de mode... Leur point commun ? Ils passent du bon temps, se sentent valorisés et retrouvent un but dans la vie.

Parce que si la mémoire flanche, l’imagination, elle, reste bien vivace.

Le passé comme balise ?

Lorsqu’on s’occupe de personnes atteintes de démence, on a tendance à évoquer leur passé parce que cela assure un lien, une continuité avec ceux qui oublient.  » On a longtemps cru que parler du passé permettait d’entrer plus facilement en contact avec le malade. C’est parfois le cas et on remarque alors que ces évocations l’apaisent, lui font plaisir, lui redonnent confiance en lui. Mais ce n’est pas toujours vrai. D’où l’importance de tenir compte des besoins actuels du malade. Ainsi, un joueur de billard se sentira certainement frustré de manquer ses coups. Au point parfois de vouloir abandonner l’activité en question. La personne peut cependant éprouver du bien-être dans une activité tout autre. On peut essayer de l’orienter vers la peinture, la poterie, l’équitation, l’aviron, la danse... tout est possible ! Et cela ne se limite pas à de l’occupationnel. Ces activités peuvent générer de véritables petits chefs-d’oeuvre.  » Parce que si la mémoire flanche, l’imagination, elle, reste bien vivace.

Il est faux de croire que la démence empêche d’apprendre. Certains malades apprennent à se servir d’un micro-ondes ou à utiliser Facebook. Il leur faudra peut-être davantage de temps mais, dès que les premiers résultats sont là, la maladie cesse de progresser et la personne voit même parfois sa mémoire regagner du terrain. Cela a été mesuré scientifiquement, au grand étonnement des médecins.

Le passé garde cependant toute son importance. Connaître le vécu d’une personne atteinte de démence peut être d’une grande importance pour comprendre son comportement.  » Par exemple, un deuil qui aurait laissé une plaie béante, comme la perte d’un enfant. Ce genre de traumatisme peut ressurgir plus tard sous forme de souvenirs extrêmement chargés en émotions. « 

Les contacts sociaux stimulent plus le cerveau que les motscroisés.
Les contacts sociaux stimulent plus le cerveau que les motscroisés.© ISOPIX

Faut-il communiquer différemment ?

L’entourage peut garder le contact très longtemps, à condition de trouver le bon langage.  » Dans la pratique, on se rend compte que c’est difficile. Nous essayons donc de former du personnel capable d’aider les familles. « 

Le chant peut constituer une alternative au langage parlé. Il existe des chorales spécialisées qui accueillent des malades et leur accompagnant. On sait désormais que le chant peut être un excellent moyen de communication, y compris en cas de démence avancée. Les malades qui ne sont plus capables de parler réussissent tout d’un coup à chanter à tue-tête d’anciennes chansons, sans en oublier un couplet.  » Certains parviennent ainsi à renouer le contact avec d’autres. « 

Trouver le bon moyen de communication a également son importance pour prolonger autant que possible le libre arbitre de la personne.  » Souhaite-t-elle assister aux funérailles de son conjoint ? Accepte-t-elle d’être placée en maison de repos et de soins ? Aujourd’hui, on a tendance à poser directement la question. Lorsqu’on ne parvient pas à se faire comprendre par le langage courant, il faut trouver un autre moyen. Par exemple, à l’aide de dessins ou de photos : la personne exprime alors ce qu’elle veut en indiquant telle ou telle image. « 

Infos : www.alzheimerbelgique.be, www.vivreavecunedemence.be et www.alzheimer.be

Patriek Devolder, 61 ans souffre de démence précoce

La démence : de nouvelles approches pour plus de bien-être
© PATRIEK DEPYPERE

 » Lorsque j’ai repris le travail après un épisode de problèmes cardiaques, je me suis rendu compte que je rentrais à la maison épuisé. J’aimais beaucoup mon emploi de programmeur mais il me fallait de plus en plus d’énergie pour me concentrer. Mon comportement a changé également. Avant, quand le soleil brillait, je pouvais rester sans problème, à l’intérieur, derrière mon écran. Désormais, j’ai besoin de sortir et de nager. Or, avant je n’aimais pas ça ! Il suffit d’un petit pépin ou d’une contrariété pour me mettre dans des états pas possibles, avant ça n’arrivait pas. « 

Rita, son épouse, a, elle aussi, remarqué une nette différence.  » L’enveloppe corporelle est la même, mais c’est comme si elle était occupée par un autre homme. Avec de nouveaux centres d’intérêt, une fatigue intense, une tendance à laisser tomber des objets et à se répéter. Au début, on pensait que c’était lié à ses problèmes cardiaques. Il a fallu quelques années pour que le bon diagnostic soit posé. Ce fut un coup dur et en même temps un soulagement : tout devenait clair. « 

Patriek :  » J’avais en permanence l’impression que le monde tournait trop vite. Dans les magasins, je prenais beaucoup plus de temps pour régler mes achats à la caisse, par exemple. Les commerçants qui me connaissent m’aident mais ce n’est pas toujours le cas. Un jour, au supermarché, je me suis mis à emballer les courses de la dame qui me précédait. J’étais en plein brouillard à cause des courts-circuits dans mon cerveau. Après coup, on en rit mais, au moment même, pas vraiment ! Je ne peux tout de même pas expliquer à chacun ce qui m’arrive...

Je me suis inscrit dans un groupe et je sors avec un accompagnant (un buddy), ce qui m’ouvre à tout un monde de possibilités. Je fais de l’équitation, je nage, je joue au ping-pong, des activités très neuves pour moi et qui m’apportent beaucoup de plaisir. Je n’arrive plus à me concentrer sur un livre ou sur un film. J’ai essayé avec un résumé schématique des histoires mais je me suis résolu à revendre le contenu de ma bibliothèque. D’autres activités, inattendues, ont pris leur place dans ma vie, comme la peinture et la sculpture. Je n’en avais jamais fait. Mes oeuvres ont déjà été exposées et fait l’objet d’affiches. « 

Patriek rit de ses talents cachés.  » Mes sculptures et mes toiles sont assez marquantes, elles illustrent ma façon de vivre ma situation. J’ai aussi trouvé des solutions pour mon hobby musical : je suis DJ à mes heures. J’ai collé plein de post-its  » pensebête  » sur les boutons de ma console. A la maison, j’essaie de mettre de l’ordre dans le chaos de ma tête, grâce à un livret dans lequel je note tout ce que je veux faire, en cochant la liste au fur et à mesure. Ça m’aide beaucoup, car je me rends compte que j’oublie tout ce que je ne note pas. « 

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