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Eric-Emmanuel Schmitt : « Je suis un éternel débutant »

Il est lu, publié, joué, dans le monde entier. L’écrivain franco-belge nous ouvre les pages de sa vie...

Le roman L’Evangile selon Pilate, c’est lui. Le film Odette Toulemonde, aussi. La pièce Oscar et la dame rose, encore lui. La BD Les aventures de Poussin 1er, toujours lui. Un touche-à-tout ? Non, un homme touché par tout, vous répondra-t-il ! C’est à l’occasion de la sortie de son 42e livre, La Vengeance du pardon, que nous avons rencontré Eric-Emmanuel Schmitt, auteur et philosophe passionné par les profondeurs de l’homme.

Qu’est-ce qui vous fascine tant dans l’âme humaine ?

Que chaque homme est capable du pire comme du meilleur. Ce qui me fascine, c’est son imprévisibilité, sa malléabilité amoureuse et morale. J’aime explorer le labyrinthe de l’âme humaine, pas trouver la porte de sortie mais l’explorer dans tous les détails. Chaque fois, je présente mes personnages sans jugement, dans une empathie profonde, celle du romancier qui deviendra celle du lecteur.

Comment étudiez-vous la psychologie des gens ?

J’adore m’installer à la table d’un café ou d’un restaurant et fixer mon attention sur une personne pour essayer de ressentir le plus d’informations possibles sur ses états d’âme, sa vulnérabilité ou pas... En fait, je me laisse totalement envahir par la personne. Je suis un écrivain qui adore la communication non verbale. Je saisis des choses qu’après j’essaye de transcrire en mots. Parfois, pour en savoir plus, je dis aux gens que je sais lire les lignes de la main – ce qui est vrai – et quand j’ai une main dans la mienne, je reçois plein d’informations. C’est un support de concentration sur l’autre. Une autre manière de connaître les gens, c’est de lire car la littérature permet d’étancher cette soif des autres.

Ya-t-il une part autobiographique dans vos livres?

Toujours mais que souvent je découvre par après. J’ai l’impression d’obéir uniquement à mon imagination et puis, tout d’un coup, je découvre les liens intimes que je peux avoir avec les histoires. Il y a une histoire de jumelles dans mon dernier livre. J’ai cru l’inventer jusqu’au moment où j’ai réfléchi que dans ma famille il y a à la fois des jumeaux et des jumelles que je connaissais très bien. Ce que j’ai pu observer sur eux m’a permis d’écrire cette histoire même si elle est, heureusement, différente. La dernière nouvelle de ce recueil donne une grande importance au Petit Prince. En fait, là je me raconte car cette histoire de Saint-Exupéry a été pour moi une lecture essentielle quand j’avais 10 ans.

D’où provient votre imagination ?

J’en ai toujours eu. Lorsque j’étais enfant, ma grand-mère me regardait agacée par toutes les histoires que je racontais. Pas des mensonges, des histoires ! Elle me disait :  » Heureusement, en grandissant, tu perdras ton imagination « . Eh bien non, j’en ai encore plus aujourd’hui ! (rires) Plus on recueille des informations dans le monde, plus on vit, plus on sent, plus l’imagination, qui est finalement du recyclage de la mémoire, se développe.

Connaissez-vous l’angoisse de la page blanche ?

Absolument pas ! Je suis un verger dans lequel les arbres portent des fruits différents, soit des romans, des nouvelles, des essais, des contes, des pièces... Et quand quelque chose est mûr, je l’écris.

Dans quelles conditions vous mettez-vous pour écrire ?

J’ai une vie coupée en deux. Il y des moments où je suis dans le monde, en voyageant et en m’occupant de mon théâtre à Paris, et des moments où je me retire du monde pour le réinventer et l’écrire. Je m’enferme alors dans le donjon de ma ferme-château fortifiée dans le Hainaut. Mes proches sont très patients car c’est le service minimum ! Je suis totalement dans mon écriture : si mon personnage boîte, je boîte, s’il a mal au ventre moi aussi, ... Quand j’écris, je sais que je ne suis pas la meilleure présence. J’écris également à Ixelles dans mon atelier d’artiste. Là aussi, j’ai des fenêtres partout. En fait, c’est comme si j’étais entouré de pages blanches. J’ai besoin de pièces irradiées de lumière pour écrire. J’ai même des lampes de luminothérapie pour les jours gris en Belgique !

Qu’est-ce qui vous plaît dans l’écriture ?

C’est la meilleure manière que j’ai trouvée de rejoindre les autres. D’abord, je les rejoins avec ces personnages qui sont partiellement moi et, ensuite, c’est ma manière de toucher les lecteurs que je ne rencontrerai peut-être pas. J’aime aller au salon du livre ou à des séances de dédicaces pour avoir une idée de qui sont mes lecteurs et de comment ils reçoivent ce que j’ai donné.

Vous n’êtes pas angoissé quand vos livres sortent ?

Si, si, si ! Pire qu’à mes débuts parce que quand on est jeune on est un peu présomptueux. Avec le temps, on se rend compte qu’un compliment, c’est précieux. Donc j’ai encore plus peur maintenant ! Mais cette peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur des personnages qui me visitent, de l’histoire ou du rendez-vous qu’on a avec le lecteur, est une bonne peur, vitale... Je sais que j’ai une carrière derrière moi, des millions de lecteurs mais je suis complètement occupé par aujourd’hui et par demain. Je suis un éternel débutant, toujours en train de commencer. Ca devient pathétique d’ailleurs d’avoir ce sentiment- là à 57 ans ! (rires) J’ai à la fois le doute et la confiance comme on inspire et on respire. Tous mes succès ne m’ont toujours pas rassuré.

Qui sont vos premiers lecteurs ?

J’aime explorer le labyrinthe de l’âme humaine !

Mes proches et c’est un poids terrible sur leurs épaules car ils savent que eux seuls me diront la vérité et que dans le milieu professionnel plus personne ne me la dira étant donné que je me suis fait une réputation et que je représente de l’argent. L’avis de ma famille me révèle généralement quelque chose que j’avais senti au moment de l’écriture comme, par exemple, un personnage que l’on perd en route. Alors je reprends mon travail.

Comment vivez-vous les critiques ?

Je fais tellement partie des meubles que le rapport entre l’excès de louanges du départ et l’excès de blâmes qu’il y a eu après, s’est tout à fait équilibré. Je lis les critiques avec curiosité mais jamais une critique négative ne m’a déstabilisé car elles n’ont jamais tapé où il fallait. Je connais mes défauts.

Ah, quels sont-ils ?

Je ne vais pas le dire ! (rires). Mais je sais où le bât blesse, je sais ce que je peux reprocher à mes textes.

Et vous, que lisez-vous en général ?

Depuis que je suis membre de l’Académie Goncourt, je lis énormément afin de repérer les talents. Je suis aussi lecteur de presse à partir du moment où il y a des analyses psychologiques ou des enquêtes sociologiques. Les actualités, je vais les chercher sur internet. Je lis aussi des essais de philosophie, des livres d’histoire. J’ai des bibliothèques partout dans ma maison !

A quoi ressemble votre quotidien ?

J’adore écrire au lit le matin. En fin de matinée, un coach me fait faire de la gymnastique. L’après-midi, je me fais beau pour écrire, je suis beaucoup plus toiletté ! (rires) C’est une disposition qu’on crée. Puis, j’aime sortir le soir au restaurant, au théâtre, au concert ou encore au cinéma.

J’imagine qu’on vous reconnaît dans la rue...

Ah, je ne peux pas mettre mes doigts dans mon nez, c’est sûr ! (rires) La liberté de l’anonymat m’a été enlevée. Des gens viennent me dire qu’ils adorent mes livres, ils sourient en me voyant sans doute parce que je leur rappelle de bons souvenirs de lecture... On a comme notoriété ce qu’on a mis dans nos livres. Chez moi, il n’y a jamais d’agressivité. On me dit que je suis très gentil, très accessible, très simple... C’est crétin de le dire soi-même mais je suis obligé puisque vous me le demandez ! (rires)

Bio Express

Eric-Emmanuel Schmitt :

1960

Naissance à Sainte-Foy-lès-Lyon

1983

Agrégation de philosophie

1991

Première pièce La Nuit de Valognes

2000

Roman L’Évangile selon Pilate

2010

Prix Goncourt de la nouvelle

Depuis 2016

Membre de l’Académie Goncourt

2017

Livre La Vengeance du pardon (éd. Albin Michel)

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