Anne Vanderdonckt

Et si les restos baissaient la sono ?

Anne Vanderdonckt
Anne Vanderdonckt Directrice de la rédaction

Ce soir-là, mon amie et moi nous sommes fixé rendez-vous dans un petit resto de quartier pour debriefer nos actualités personnelles. Il est encore tôt, et déjà la musique hurle. Nous aussi, pour nous faire entendre l’une de l’autre.

Tant d’histoires de filles à se raconter... Bavardages, papotages... un plaisir jubilatoire que je relate ici au féminin, mais qui pourrait aussi – ne prétendez pas le contraire, messieurs, on vous a moult fois surpris à pratiquer ce sport-là ! – se décliner au masculin. Ce soir-là donc, mon amie et moi nous sommes fixé rendez-vous dans un petit resto de quartier pour debriefer nos actualités personnelles. Il est encore tôt, et déjà la musique hurle. Nous aussi, pour nous faire entendre l’une de l’autre. Nous sommes hélas trop polies pour râler d’entrée de jeu. Mais tout bien compté, n’est-il pas plus impoli d’imposer un volume sonore qui empêche les gens de converser sans s’écorcher la gorge et s’exploser les cordes vocales (aïe, les lendemains douloureux) ?

On demande donc au garçon s’il aurait la gentillesse de baisser un peu le volume. Dans ses yeux, en lettres de feu, scintillantes comme des boules à facettes, il est inscrit : « vieilles » + « enquiquineuses ». Deux demandes plus tard, il diminuera un peu le son... momentanément.

Un peu plus loin, une grande tablée s’égosille, faisant du raffut pour concurrencer le vacarme. Au final, chaque convive finira par se limiter à parler avec son voisin direct, contraint de communiquer par gestes avec les autres. J’imagine, dans cette dantesque cacophonie, le supplice des personnes qui entendent mal ou sont équipées d’un appareil auditif amplifiant non seulement les voix, mais aussi le fond sonore.

Tout cela est d’autant plus dommage – et contreproductif, chers restaurateurs de plus en plus nombreux à mettre le feu à la hifi – qu’on sait maintenant que la musique diffusée lors des repas influence la manière dont nous les percevons. Des études scientifiques très sérieuses ont ainsi démontré que les mets nous semblent plus raffinés accompagnés de musique classique que de rock ou de pop.

Non, je ne plaide pas pour Vivaldi avec la pizza quatre saisons, je demande juste à pouvoir échanger sans hurler, à déguster sans que le sens du goût ne soit perturbé par le sens de l’ouïe en train de se faire agresser. Non, non, définitivement non, cela n’a rien à voir avec l’âge.

Presque envie de former un groupe de pression. Comme le britannique Nigel Rodgers qui, à l’âge de 38 ans, énervé par la musique d’ambiance d’un resto où il dînait avec son amie, a fondé Pipedown, une association qui lutte contre la musique de fond dans les lieux publics et les magasins. Aujourd’hui l’homme, 63 ans, enregistre une belle victoire : la chaîne Marks and Spencer a annoncé qu’elle allait cesser de diffuser de la musique dans ses magasins. Cesser, voilà qui est bien radical. Nous, on n’en demande pas tant. Juste de baisser le volume pour ne pas devoir sortir de certaines boutiques, qui confondent branchitude et amplitude, avec les oreilles en choux -fleurs et l’envie, surtout, de ne plus jamais y retourner.

Contenu partenaire