© ISTOCK

Flore intestinale: merci, les bactéries !

Chaque jour, un demi-kilo de bactéries intestinales abattent un travail de titan. Elles renforcent le système immunitaire, contribuent à la production d’hormones et préservent notre ligne.

Nous abritons bien plus de vie que nous ne le pensons.  » On estime que chaque être humain contient dix fois plus de bactéries que de cellules. Nous sommes donc en minorité dans notre propre corps. Ces milliards d’hôtes invisibles, qui forment la flore intestinale, se concentrent principalement dans le côlon. Comme nos empreintes digitales, ce microbiome est unique « , explique Tom Van de Wiele, professeur d’écologie microbienne et de technologie, en charge d’une étude sur le rôle de la flore intestinale dans l’assimilation des aliments.

Le rôle des bactéries

Elles contribuent à la digestion

Il y a énormément d’interactions entre les bactéries, les cellules du corps humain et l’environnement mais démêler la part et le rôle de chacun est extrêmement complexe. Ces trois facteurs s’influencent continuellement et peuvent augmenter ou réduire le risque de développer certaines maladies, comme le diabète ou les troubles cérébraux.  » Lorsque le microbiome est diversifié et fonctionne bien, c’est un réel atout santé, insiste Tom Van de Wiele. Les occupants de cette microflore participent au processus de digestion. La plupart des aliments sont décomposés et absorbés dans l’intestin grêle. Les bactéries intestinales, situées très majoritairement dans le côlon, se chargent des plus petites particules, notamment les fibres, que l’intestin grêle ne digère pas. Grâce à un arsenal d’enzymes, les bactéries parviennent à en extraire des nutriments essentiels et à produire de nouvelles substances que le sang se charge ensuite de distribuer dans l’organisme. Il s’agit d’acides gras (bénéfiques) à chaîne courte, comme l’acide butyrique, qui nourrit la paroi intestinale, mais aussi d’acides gras acétiques ou propanoïques qui ont des effets ailleurs dans le corps. « 

Elles jouent un rôle hormonal

Vous avez toujours faim ? Au contraire vous êtes rassasié pendant longtemps ? Ce sont les hormones qui en décident. Via certaines substances, les bactéries intestinales peuvent influer sur les cellules de la paroi intestinale, ce qui détermine l’appétit. Elles influencent également le taux d’insuline, l’hormone de la régulation du sucre dans le sang. Par voie de conséquence, la flore intestinale joue un rôle dans l’apparition du diabète.

Elles boostent l’immunité

Les bactéries intestinales contribuent au bon fonctionnement du système immunitaire qui se joue en grande partie dans le côlon. Ces bactéries soumettent en quelque sorte nos cellules immunitaires à un entraînement militaire : elles leur apprennent à distinguer l’ami de l’ennemi, c’est-à-dire les bonnes bactéries des bactéries pathogènes. Lorsqu’elles croisent des bactéries dans le corps, les cellules immunitaires sont à même d’agresser les intruses d’une part et de laisser en paix les bonnes bactéries, d’autre part.  » On sait que certaines bactéries contribuent à la production de substances capables de combattre une infection. D’autres aident à limiter les réactions inflammatoires. Cet équilibre entre le déclenchement et l’atténuation de réactions inflammatoires est rompu chez les patients qui ont une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI). On soupçonne de même une flore intestinale déséquilibrée d’être à l’origine de maladies auto-immunes. « 

Le pain complet, riche en fibres, est favorable au développement de bonnes bactéries intestinales.
Le pain complet, riche en fibres, est favorable au développement de bonnes bactéries intestinales.© ISTOCK

Les bactéries jouent également un rôle dans la prévention des infections. Imaginez que vous tartiniez votre pain d’un aliment infecté par une salmonelle : vous risquez une grave infection intestinale. « La salmonelle aura beaucoup de mal à s’incruster dans des intestins tapissés d’une flore variée et équilibrée. On peut comparer cela avec avec une salle de concert bondée : si tous les sièges sont pris, le nouvel arrivant n’a plus qu’à repartir. Plus le microbiome est varié et plus il comprend de bactéries bien organisées, plus vous augmentez vos chances de chasser les indésirables comme, par exemple, la salmonelle. « 

Elles déterminent notre réaction aux médicaments

Les colonies bactériennes déterminent aussi la façon dont nous réagissons à un médicament.  » Certaines souches accélèrent l’absorption d’une molécule, d’autres la divisent et l’envoient vers le foie, avec des effets très différents. C’est pourquoi les firmes pharmaceutiques s’efforcent de trouver les liens entre les différents types de bactéries intestinales et la bonne absorption, c’est-à-dire l’efficacité des médicaments. On pourrait dès lors prédire la façon dont un patient réagira à un traitement ou y ajouter éventuellement des bactéries pour en faciliter l’absorption. »

Un exemple de ce dont les bactéries sont capables dans ce domaine ? Un complément alimentaire aux extraits de houblon lancé sur le marché, voici une dizaine d’années, pour soigner les symptômes liés à la ménopause.  » Le houblon a donné des résultats très variables. Certaines femmes étaient ravies alors que pour d’autres il n’a eu aucun effet. D’où la controverse quant à l’efficacité de ces compléments. L’explication semble liée à la flore intestinale. Selon que les femmes possédaient tel ou tel type de bactéries, elles réagissaient ou pas à l’extrait de houblon. « 

Les bactéries et les maladies

Le monde médical fait appel aux chercheurs en gastro-entérologie dans l’espoir de développer, grâce aux bactéries, des traitements ciblés, notamment contre les maladies du cerveau.  » On dit souvent, avec raison, que l’intestin est notre deuxième cerveau. En effet, il abrite le centre neuronal le plus complexe après le cerveau. L’impact qu’exercent les bactéries intestinales sur ce système nerveux influence directement le comportement, la mémoire, les capacités de concentration. Mais de façon négative, car certaines bactéries produisent des neurotoxines qui peuvent perturber les fonctions cérébrales. A côté de cela, certaines bactéries intestinales envoient des stimuli pour que l’organisme produise plus d’endorphines, les hormones du bien-être. Il semblerait que la flore intestinale soit bel et bien liée à des affections telles que la dépression, la démence, l’autisme, la sclérose en plaque, etc. Des tests menés en laboratoire sur des souris auxquelles on a injecté des bactéries lactiques ont démontré que les rongeurs adoptent des comportements plus ou moins à risque selon leur microbiome. « 

Et les recherches ne s’arrêtent pas là. Elles se penchent également sur le rôle de la flore intestinale dans l’apparition de maladies chroniques comme la colite ulcéreuse (ou rectocolite hémorragique). La colite a déjà fait l’objet d’études prometteuses sur des patients ayant bénéficié d’une greffe fécale, c’est-à-dire d’un nouveau microbiome. Le succès est au rendez-vous dans un cas sur trois.

Les cellules productrices d’insuline sont directement influencées par les bactéries, comme le poids corporel.  » Le lien poids/bactéries a été clairement démontré sur des souris. Quand on greffe chez une souris mince le microbiome d’une souris obèse, elle grossit. Et inversement. On a pu faire un parallèle très net chez l’homme, même si d’autres facteurs entrent bien sûr en compte. « 

Mais comment expliquer que certaines personnes puissent manger tout ce qu’elles veulent sans grossir, alors que d’autres paient cash sur la balance le moindre écart alimentaire ? Une partie de la réponse se trouve dans le ventre. On a récemment découvert le rôle d’une bactérie intestinale – Akkermansia – dans la réduction de l’absorption et du stockage des graisses. Serait-ce  » la  » solution pour réguler le métabolisme et guérir diabète et obésité ? La Belgique et les Pays-Bas mènent actuellement des études sur les effets des bactéries Akkermansia administrées à des personnes en surpoids.  » Je m’attends à ce qu’on développe un nouveau type de pro-biotiques. Les probiotiques actuels contiennent surtout des bactéries lactiques. L’offre sera élargie avec de l’Akkermansia et des bactéries intestinales classiques. Un bémol toutefois : ce type de bactérie est encore très neuf. On manque de recul quant à son inocuité et à ses effets à long terme. »

L’équilibre de la flore intestinale

Les bons nutriments

Prendre soin de son microbiome passe avant tout par l’alimentation. Varier ses aliments, c’est non seulement la garantie de manger équilibré mais c’est aussi varier son micro-biome.  » Si vous remplacez une alimentation équilibrée par une alimentation riche en graisses ou en sucres rapides, les effets sur la flore intestinale sont visibles en une semaine déjà. La flore s’appauvrit et les bonnes bactéries tendent à disparaître, laissant le champ libre aux germes pathogènes. A l’inverse, si vous remplacez une alimentation mal équilibrée par une alimentation riche en fibres, il faudra nettement plus longtemps pour que le microbiome se rétablisse et abrite à nouveau un grand nombre de bonnes bactéries. « 

Les fruits et légumes contiennent des éléments qui nous gardent en bonne santé grâce à l'action des bactéries intestinales.
Les fruits et légumes contiennent des éléments qui nous gardent en bonne santé grâce à l’action des bactéries intestinales.© ISTOCK

Aujourd’hui, on mange surtout des aliments qui fournissent directement au corps les nutriments nécessaires mais ce n’est pas forcément ce dont les bactéries ont besoin.  » On devrait adapter son alimentation en pensant aux bactéries intestinales, estime le Pr Van de Wiele. C’est-à-dire la diversifier et privilégier les fibres. Il est recommandé d’en consommer 30 g par jour. On en trouve dans les fruits et légumes, le pain complet, le son et les légumineuses. Le chocolat noir contient, lui aussi, des substances bénéfiques pour l’organisme et pour le microbiome.  » Les fruits et légumes apportent d’autres bénéfices, directs ou indirects, comme les polyphénols, les phytostérols et les caroténoïdes qui sont traités par la flore intestinale. Outre les fibres, on peut faire des cures de prébiotiques. Ceux-ci sont souvent à base de fibres végétales naturelles qui stimulent les bonnes bactéries de l’intestin.

Les médicaments à éviter !

Attention, plusieurs classes de médicaments déséquilibrent le microbiome. En particulier les antibiotiques.  » Ils tuent tout sur leur passage, sans faire de différence entre bonnes et mauvaises bactéries. Gare aux conséquences intestinales ! Après un traitement antibiotique pour combattre une diarrhée due à la bactérie Clostridium difficile, il faut savoir que la plupart des bonnes bactéries ont disparu de l’intestin. Clostridium peut former des spores résistantes. Après éradication des bonnes bactéries, ces spores germent à nouveau et ont le champ libre pour se multiplier dans le côlon. Ce qui provoque un cercle vicieux qu’on peut rompre grâce à une greffe fécale. L’apport massif de bonnes bactéries intestinales par le biais d’un donneur permet de barrer le passage à la bactérie de type Clostridium. « 

Une alimentation diversifiée et riche en fibres est indispensable. Nous devrions en consommer 30 grammes par jour.
Une alimentation diversifiée et riche en fibres est indispensable. Nous devrions en consommer 30 grammes par jour.© ISTOCK

Les antiacides ont aussi une influence sur la flore intestinale. Quand la muqueuse de protection est affaiblie, cela ouvre la voie aux bactéries pathogènes qui peuvent dès lors se frayer un chemin jusque dans les intestins.

Bougez, faites du sport !

L’activité physique est excellente pour la bonne santé des bonnes bactéries intestinales. Des études récentes démontrent que le sport permet non seulement de mieux irriguer (et oxygéner) le corps mais qu’il exerce aussi un effet bénéfique sur la paroi et la flore intestinales. Le sport améliore le transit, limite les réactions inflammatoires et booste la production des hormones du bien-être.

De la greffe fécale à la bactériothérapie

La bactériothérapie, parfaite alternative à la transplantation (ou greffe) fécale, s’annonce déjà comme un traitement révolutionnaire.  » Les greffes fécales gardent leur intérêt en cas d’infection au Clostridium, analyse Tom Van de Wiele, professeur d’écologie microbienne. C’est une greffe qui se fait en ajoutant à un échantillon de selles d’un donneur sain une solution saline (fermentation anaérobie) destinée à maintenir en vie les bonnes bactéries. Cette suspension peut être administrée de deux manières : par voie rectale ou via un fin tuyau inséré dans le nez qui délivre les bactéries vivantes directement dans l’intestin grêle. Autre solution : l’usage d’une capsule fécale contenant les bactéries lyophilisées du donneur. La capsule s’ouvre une fois dans l’intestin. Les donneurs font l’objet d’un screening minutieux mais on ne peut jamais être certain à 100 % de la composition de l’échantillon. La présence possible de virus, de bactéries pathogènes ou d’allergènes alimentaires constitue un risque. « 

C’est pourquoi les scientifiques fondent énormément d’espoir sur une autre forme de bactériothérapie : une gélule contenant un cocktail de bonnes bactéries intestinales humaines, dont on sait qu’elles améliorent la flore locale.  » Je crois beaucoup à cette approche. D’ici une dizaine d’années, on verra sans doute ce type de médicament appliqué à toutes sortes de maladies. Entre autres avantages, on peut le tester en toute sécurité, il reste stable en cours de production et se révèle parfaitement fonctionnel. Pour les greffes fécales, on ne peut pas en dire autant. La législation actuelle ne permet pas encore de commercialiser ce type de médicament bactérien, contrairement à l’usage expérimental des greffes fécales. « 

Un vrai jardin zoologique

Vous avez envie d’en savoir plus sur votre flore ? Il est désormais possible de faire analyser un échantillon de vos selles et de connaître ainsi votre profil bactérien. Plusieurs firmes proposent ce service. Mais est-ce réellement utile ?  » A l’avenir ça le sera sans aucun doute. Cependant, aujourd’hui, le profil bactérien d’une personne ne permet pas encore de dire quel type d’alimentation ou de médicaments sont les meilleurs en fonction de son microbiome. « 

Les bonnes bactéries intestinales, Bifidobactéries, E. Coli et Lactobacillus (en haut) et les mauvaises bactéries intestinales, Campylobacter, Enterococcus faecalis et Clostridium difficile (en bas).
Les bonnes bactéries intestinales, Bifidobactéries, E. Coli et Lactobacillus (en haut) et les mauvaises bactéries intestinales, Campylobacter, Enterococcus faecalis et Clostridium difficile (en bas).© DIRK BILLEN
L'activité physique est l'alliée des bactéries intestinales.
L’activité physique est l’alliée des bactéries intestinales.© ISTOCK

Contenu partenaire