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Vintage, quand le démodé devient branché

Et si votre grenier contenait des trésors ? Disques vinyles, robes à fleurs, meubles scandinaves, plastiques orangés... Autant d’objets iconiques des  » Trente Glorieuses  » (1945-1975) qui connaissent aujourd’hui un fort regain de popularité.

Curieuse chose que l’effet de mode : dans les années 80 et 90, tout ce qui se rapportait aux Trente Glorieuses était considéré comme incroyablement ringard. L’heure était aux vestes à épaulettes, au CD, au magnétoscope et aux chaises à la Philippe Starck. Il était alors courant de remiser ou d’évacuer toutes les vieilles affaires dont, de toute façon, plus personne ne voudrait : disques vinyles, pantalons pattes d’eph et robes à fleurs, assiettes en mélamine, étagères Tomado... Et voici que depuis quelques années, tous les objets iconiques des années 50 à 80 sont qualifiés de  » vintage « . Ils se retrouvent à nouveau sur le marché, où ils séduisent particulièrement les 25-40 ans (mais pas que...).

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Coups de coeur

La tendance est surtout perceptible dans les grandes villes : on y trouve de plus en plus de  » vintage stores « , des boutiques spécialisées dans cette période. C’est notamment le cas du Gray du temps, petit magasin situé à quelques pas de la très branchée place Flagey d’Ixelles. Un joyeux capharnaüm de skaï, de formica, de teck, d’acier et de contreplaqué. Avec, disséminés un peu partout, des ustensiles de plastique bariolé, de la vaisselle aux tons pastel, des verres affichant des logos de pompes à essence.

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 » Au départ, ce type d’objets ne m’intéressaient pas spécialement, raconte Danièle Lacroix, gérante du magasin. Et puis, petit à petit, en faisant les brocantes, j’ai commencé à leur trouver du charme, au contraire de la plupart des amis de mon âge. Ça me plongeait dans la nostalgie, je me revoyais en vacances chez mes grands-parents. Je me suis prise au jeu et j’en ai tellement accumulé que j’ai finalement ouvert un site de vente en ligne, puis une boutique : je me suis rendu compte qu’il existait une demande, notamment chez les jeunes et les expatriés, qui apprécient beaucoup tout ceci. « 

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S’il y a bien sûr quelques collectionneurs parmi les acheteurs, beaucoup sont des particuliers qui fonctionnent au coup de coeur, dépensant quelques pièces pour un batteur à oeufs manuel des sixties – croyez-le ou non, mais c’est recherché ! – ou cassant carrément leur tirelire pour des meubles, dont le prix défie parfois l’entendement. Dans certains magasins spécialisés ou sites de vente en ligne, un meuble de cuisine (très) basique en formica des années 50 s’échangera plus de 200€, un transat en  » fils scoubidou  » de la même époque... près de 250€. Sans même parler des pièces d’origine scandinave ou estampillées par un designer ! Pour peu qu’elles soient en excellent état ou restaurées avec soin, les prix peuvent vite grimper, parfois au-delà du millier d’euros.  » Même s’il y a une certaine recherche et qu’ils s’adaptent bien à la taille des logements actuels, on ne peut pourtant pas dire qu’il s’agisse toujours de meubles de qualité, fait remarquer Danièle Lacroix. Il s’agit des premiers meubles produits en masse, standardisés à moindre coût. Ici, par exemple, vous avez un meuble Meurop des années 50-60 – c’est un peu l’Ikea belge, qui vendait via des fascicules toutes-boîtes. Il a été conçu par le designer Pierre Guariche, mais ses faces sont en contreplaqué, l’intérieur est en plastique ! « 

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Au temps des couturières

La folie du vintage ne concerne pas que la vaisselle ou l’ameublement... Les authentiques vêtements rétro sont aussi de plus en plus recherchés. Une tendance confirmée par Gabriele Wolf, qui a ouvert il y a vingt ans  » Gabriele vintage « , à deux pas de la Bourse. Derrière le comptoir aux contours psychédéliques, les chapeaux bibis côtoient les tenues de soirée des années 50, les robes à fleurs des années 60, les pantalons taille-haute des années 70 et même quelques bleus de travail d’Après-Guerre. Initialement, les lieux étaient surtout fréquentés par des professionnels, des costumiers de théâtre et de cinéma, ou quelque artiste désireux de s’habiller de façon excentrique.  » Mais ces dernières années, de plus en plus de particuliers viennent ici, car ils cherchent à se distinguer, ils en ont marre des vêtements produits en masse et de mauvaise qualité, explique la propriétaire, vêtue avec recherche. Au début, la clientèle était essentiellement féminine, mais les hommes s’y mettent aussi de plus en plus. Ce qui pose parfois problème car la morphologie, surtout masculine, a changé depuis l’époque... « 

 » Les petits objets ne se vendent pas forcément cher, mais sont recherchés « , souligne Danièle Lacroix.© FRÉDERIC RAEVENS

 » L’idée du vintage, ce n’est pas de s’habiller entièrement comme dans le passé, mais de mélanger ces pièces anciennes à d’autres, plus contemporaines, ajoute Gabriele Wolf. Les vêtements rétro ne sont pas nécessairement choisis pour leur histoire, mais aussi pour ce qu’ils sont en eux-mêmes.  » C’est qu’ils sont souvent très individualisés, avec des tissus et des coutures impeccables : dans les années 50, pour avoir une belle robe, il n’était pas rare de chercher un modèle dans un magazine de mode, avant de se rendre chez une couturière qui faisait un travail artisanal de qualité.  » On ne pourrait plus acheter du neuf comme ça aujourd’hui, cela coûterait trop cher ! Par contre, les vêtements d’époque sont uniques, restent très abordables (comptez une cinquantaine d’euros pour une robe casual, Ndlr) ... Et ils sont bien plus solides que ce qu’on trouve maintenant dans les chaînes de magasins.  » Avant d’ajouter que la multitude de styles disponibles permet aussi aux gens de se trouver, d’essayer des couleurs et des coupes auxquelles ils n’auraient jamais pensé, loin des standards formatés.

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Une période fantasmée

 » La patine est acceptable pour les meubles vintage, pas pour les vêtements, précise Gabriele Wolf (Gabriele Vintage). Ils doivent être remis en état de façon impeccable. « © FRÉDERIC RAEVENS

Comme pour beaucoup de modes, il y aurait donc initialement une volonté de se démarquer de la masse, de revenir à quelque chose d' » authentique « . Dans ce cas-ci, la mode du vintage se combine aussi parfaitement avec la tendance très actuelle au réemploi, plus écologique que l’achat de produits neufs. Mais ces éléments suffisent-ils à expliquer le succès du rétro ? Le marketing ayant reniflé la bonne affaire, le marché est désormais saturé de reproductions ou d’inspirations vintage qui ne sont plus nécessairement authentiques, originales, ni durables. Comment, dès lors, expliquer le maintien de l’engouement pour tout ce qui rappelle le monde d’il y a soixante ans ?

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Johan Tirtiaux, sociologue à l’Université de Namur, a mené une grande enquête avec la RTBF sur la génération 18-34 ans, et en a tiré une conclusion qui pourrait apporter des éléments de réponse :  » Il y a chez les jeunes un pessimisme vis-à-vis de l’avenir qu’on nomme souvent  » le déclinisme « , un sentiment de déclin générations après générations. J’ai lu que certains reprenaient ce constat pour expliquer le goût du vintage.  » De fait, des sociologues estiment que la fascination des jeunes générations pour ce passé (qu’elles n’ont pas connu !) aurait pour elles quelque chose de rassurant, en constituant un âge d’or auquel se raccrocher.

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Une vision très généralement partagée par les acteurs du secteur.  » Oui, le côté optimiste des Trente Glorieuses permet de sortir un peu de la morosité ambiante, abonde Danièle Lacroix. C’était l’époque du plein emploi, on pensait que le progrès n’allait jamais s’arrêter. Mon père travaillait dans la pétrochimie à Anvers et pour lui, clairement, tout allait toujours aller vers un mieux !  » Un sentiment qui transparaîtrait dans les (re)productions de l’époque, au contraire des nouveautés contemporaines.  » Avec la crise économique de 2008, les grandes marques se sont réfugiées dans des valeurs sûres, dont le noir, souligne Murielle Lenglez, qui vend du vintage neuf et de seconde main dans son magasin  » Un pt’it coin de parapluie  » à Namur. La mode rétro, à la fois intemporelle, élégante et colorée, tranche clairement ! « 

Reste que le vintage fait référence à un passé fantasmé et non réel. Ceux qui ont connu ces époques sont bien placés pour savoir que tout n’était pas rose !  » D’ailleurs, les 50+ n’y sont pas très sensibles, reconnaît la Namuroise. Les années 50, passe encore, mais ils ne comprennent souvent pas l’engouement pour les années 60 et 70, qu’ils ont vécues. Ils ont fait une overdose d’orange, de fleurs. Certains me parlent aussi de la pression sociale de l’époque, du fait qu’ils se sont sentis obligés de porter tel ou tel vêtement. Çà les touche de manière très profonde. Ils se demandent comment on peut encore apprécier ça actuellement...« 

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La fin des meubles de famille

C’est la dure loi de l’offre et de la demande : si le commerce des meubles vintage se porte plutôt bien, il n’en va plus de même des meubles de famille, ceux qu’on se transmettait de génération en génération en insistant bien sur leur valeur pécuniaire. Meubles tête de lion, tables rustiques, chaises paillées, vaisseliers à vitraux...

 » Tous ces meubles de style du XIXe, ça ne vaut plus rien du tout, déplore Christian Hericks, vide-maisons et antiquaire. Il y a quelques décennies, une salle à manger complète de ce type se vendait jusqu’à 50.000 francs. Désormais, on est parfois content si on obtient 10 ou 20€ pour chaque pièce.  » Idem pour les étains et les cuivres, autrefois exposés avec fierté : la plupart sont désormais directement envoyés à la ferraille, sans autre forme de procès.

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 » Dans le vintage, il y a une multitude de styles, une richesse énorme « , estime Murielle Lenglez (Un p’tit coin de parapluie).© FRÉDERIC RAEVENS

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